Un confrère me disait hier : « J’ai un ami médecin qui va s’installer en zone rurale. Il dit « médecin à la campagne » et surtout pas « médecin de campagne ». » Une nuance linguistique qui symbolise toute l’évolution de la médecine de proximité et de la profession médicale. Il est loin le bon docteur qui consacrait tout son temps, comme un curé laïc, à ses ouailles éparpillées dans les hameaux de montagne. Aujourd’hui, si un praticien s’installe en zone rurale, c’est aussi pour profiter de la vie et la notion de carrière n’est pas un critère majeur.

Seydou Konaté juge durement cette évolution. Même s’il est conscient qu’un médecin français n’accepterait pas les conditions de vie qu’il connaît dans le village de Nongon Sikasso, à 450 km de Bamako. Mais il y trouve une richesse de vie que, pour lui, un praticien en zone rurale française peut connaître (notre photo). « Parfois j’ai l’impression que votre développement va vous tuer », dit-il. Il comprend mal les aberrations de la démographie médicale en France. Il assistait vendredi à une rencontre organisée par l’Union Régionale des Médecins Libéraux (URML). Il raconte volontiers cette médecine de proximité qu’il vit au quotidien et qu’il s’étonne de voir reculer en France. « Je m’occupe globalement des malades pas seulement de leur maladie. Quand une femme vient vers moi avec un enfant qui souffre de malnutrition, je vais voir un des responsables du village pour qu’il lui donne un petit terrain afin qu’elle cultive des légumes pour son petit. Je suis considéré comme un notable et mon expérience est prise en compte à la faculté à Bamako. » Santé Sud, une association basée à Marseille l’a aidé à s’installer avec un kit médical, un capteur solaires et une moto. Des médecins de brousse font aussi des échanges avec des médecins de campagne français.
Lorsqu’elle entend le témoignage de Sékou, le Dr Fabienne Cordier reste rêveuse. « A Barcelonnette, nous sommes 6 médecins pour 3000 habitants. Deux d’entre nous, associés dans un cabinet, cherchent un troisième généraliste depuis deux ans et ils ne trouvent pas. Alors qu’il aurait un bon revenu assuré et qu’il n’a pas de clientèle à racheter! » L’une de ses consoeurs, Florence Atger, installée à Gap, explique qu’elle « recherche désespérément un ou une échographiste ».
Des exemples comme cela, la région Paca, même dans les campagnes qui se repeuplent, en fourmillent. Et le récent mouvement de grève des internes après la projet d’obliger les jeunes praticiens à s’installer dans les zones rurales témoignent de leurs réticences . « Le modèle du « médecin de campagne » n’est pas défendu en faculté, explique Christiane Giraud, l’une des élues de l’URML, installée dans les quartiers Nord de Marseille. Vous ne verrez jamais un généraliste d’une zone rurale venir témoigner dans un amphi. (voir l’interview de la sociologue Nathalie Lapeyre en pièce jointe) n Le modèle dominant en fac de médecine, c’est le médecin hospitalier et plus encore le spécialiste. Au-delà des incitations financières et des aides à l’installation, il faut penser à revaloriser ce type de pratique. »
L’URML va se doter de logiciels pour suivre la démographie médicale dans la région, avec la répartition des médecins dans les zones les plus reculées et leur âge.
L’enjeu est énorme. Selon les chiffres cités au cours de la rencontre, dans certains zones en Provence et en France, 1 habitant sur 10 n’a plus accès à un « médecin de première ligne », autrement dit ne peut plus consulter dans son village ou une commune proche. Une sociologue, Nathalie Lapeyre, s’est particulièrement attachée à comprendre ce « refus de la campagne » chez les médecins. (voir ci-dessous).  Par ailleurs, vous pouvez aussi consulter en pièce jointe l’intervention de Claude Domeizel, sénateur PS des Alpes de Haute-Provence qui est intervenu le jeudi 15 novembre en séance publique au Sénat sur le thème de la démographie médicale.

 

« Un modèle à revoir »

Nathalie Lapeyre,  sociologue a mené une étude édifiante pour l’ordre national sur la médecine en zone rurale

 

 

 

« L’exemple le plus frappant que j’ai recueilli, c’est celui des étudiants fils de médecins de campagne. Ils ne voulaient surtout pas faire comme leur père. Pour eux, c’était un repoussoir. » Nathalie Lapeyre, maître de conférence en sociologie a fait une étude avec sa consœur Magalie Robelet sur la pratique professionnel des jeunes et la médecine de proximité. C’est clair, le docteur en zone rurale n’a pas la côte. « Les étudiants ne sont pas confrontés à cette pratique durant leurs études et, suivant un enseignement en ville, ils ne connaissent pas les campagnes. » Et, pour expliquer les difficultés de recrutement, elle met en avant l’évolution sociologique du milieu médical. « Le modèle du médecin âme d’un village et disponible 24 h sur 24 n’est plus. Aujourd’hui, les jeunes qui s’installent pensent qualité de vie et pas forcément à développer en permanence leur activité. » La féminisation de la profession joue aussi dans la volonté de concilier activité professionnelle et familiale. « De plus, le modèle du docteur dont la femme reste au foyer a vécu. Il faut prendre en compte la carrière de l’épouse, cadre ou ingénieur quand elle n’est pas médecin et qui doit trouver elle aussi un poste si son mari s’installe à la campagne. » Alors, les incitations financières ne suffisent pas. Il faut « penser couple », soutenir les médecins isolés dans leur pratique médicale, fonctionner en réseau et les aider dans leur gestion.