Le deuil des mots

juillet 8, 2012


Les derniers mots, obsèques d'Olivier Ferrand

Condoléances et sympathie : ces mots sont répétés depuis une semaine à l’occasion de la mort d’Olivier Ferrand, député PS qui n’aurait eu que 13 jours de mandat entre son élection le 17 juin et sa mort brutale, le 30 juin. Et la cérémonie qui s’est déroulé hier, mercredi 4 juillet, en l’église Saint-Sulpice, à Paris, ce bâtiment monumental et un peu écrasant, a été l’occasion de constater que les derniers mots prononcés autour d’un disparu témoignent de la richesse de sa vie mais aussi de ce qu’il a semé.

Mais de cet hommage solennel rendu en présence de nombreux membres du gouvernement et de figures historiques du PS comme Lionel Jospin ou Michel Rocard, on retiendra aussi combien Olivier Ferrand avait su construire des ponts avec les mots. C’était un homme d’idées qui réunissait plusieurs générations de gauche et aussi un chercheur, un dénicheur, qui ouvrait les perspectives du débat au-delà de sa famille politique.

Alors, comme dans la plupart des obsèques mais encore plus autour de cet homme de changement, il y avait dans cette église devenu assemblée, tribune, l’urgence de dire, le désir de ne pas laisser s’installer le silence autour du défunt. C’est un Manuel Valls qui parle de sa « capacité à exprimer des opinions à rebours des idées reçues ». C’est Lionel Jospin qui parle de son « audace intellectuelle ». C’est la gauche qui se rassemble et prolonge le travail de rénovation autour de la dépouille de celui qui la dérangeait souvent, dont le laboratoire d’idées « Terra Nova » secouait les campagnes paisibles.

Et il s’agit maintenant que cet héritage intellectuel, cette manière de penser une société de gauche ne s’éteigne pas avec l’un de ceux qui l’incarnait le plus brillamment. Les derniers mots ne doivent pas être ceux de l’adieu mais soutenir l’ardente nécessité d’une vie qui continue.

Et dans ce lourd décorum d’un église mythique, il faut les mots simples d’une enfant, la fille unique d’Olivier Ferrand, Ariane, 13 ans, pour faire surgir l’émotion et l’espoir dans l’actualité la plus rude : « Je suis toi au féminin, je vais tenter d’être à ta hauteur. »


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Les lendemains de victoire électorale pourraient donner lieu à une sorte de pause après les outrances de la campagne, dans les deux camps. Non, le combat continue avec des mots qui pèsent des tonnes. Ainsi Maryse Joissains, député-maire UMP d’Aix-en-Provence,  estime que l’élection de François Hollande est « illégitime », en ajoutant qu’elle va déposer un recours contre le vote.

Cela mérite de s’arrêter sur la définition de ce mot. Illégitime qualifie « un gouvernement qui n’émane pas de la nation ». Donc, en formulant cette sentence, la première magistrate d’Aix, élue d’expérience balaye le vote des millions de citoyens qui constituent la France. Certes un peu moins de la moitié n’ont pas fait le choix du nouveau président mais c’est la règle de la démocratie – Maryse Joissains la connaît bien, elle qui l’a emporté à une municipale de quelques dizaines de voix – et entendre une députée mépriser la nation met en danger cette même démocratie.

On pourrait aussi, dans une interprétation plus psychanalytique, se souvenir qu' »illégitime » qualifie un enfant qui n’a pas été conçu dans le mariage ». En quelque sorte, un « bâtard » comme on disait jadis. Les mots qui explosent dans l’actu ont un sens, ils marquent un choix. Ils donnent ou ôtent à celles et ceux qui les prononcent une crédibilité, une légitimité.

Il faut se souvenir qu’après l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007 nombre d’électeurs de gauche tenaient quasiment les mêmes propos, assurant aussi qu’il « n’était pas leur président ». C’est plus qu’un abus de langage, c’est une aberration. Même si on n’a pas voté pour celui qui représente la République, nous l’avons tous en partage et nous en sommes tous les enfants. Les célébrations du 8 mai avec deux Présidents côte-à-côte sur la tombe du soldat inconnu l’ont superbement symbolisé.

Alors respectons les urnes, respectons le peuple et ne laissons pas les mots polluer la règle démocratique. 


Vallée de Saint-Pons, pique-nique de rêve avec "Petits Soupers entre amis"

Je  vous parle d’un livre que les moins de vingt ans et tous les autres feraient bien de connaître. Le bonheur en ce temps-là, se dégustait sur une nappe ou une table, à la campagne ou au bord de la mer. Voyez-vous, c’est mon bouquin de bonheur, mon manuel du bien-vivre. Il raconte 40 histoires de pique-nique, en famille, entre amoureux, autour du monde, avec la volonté de vous faire partager cela, avec le sentiment que, vous aussi, vous avez vécu des moments forts comme cela, des joyeux repas débraillés, des retrouvailles déboutonnées, aux accents de guinguette et de printemps volé à l’hiver. Voilà, je voudrais que vous découvriez « Petits Soupers au Soleil », à partir du 4 mai, aux éditions « La Belle Ecriture » et que vous m’en parliez. Bon appétit, bonne lecture.

http://www.dailymotion.com/philippelazare#video=xjy6hq

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Un Ciao dans la rue

février 3, 2012


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J’ai vu un Ciao devant l’hôpital de la Timone.

Je me suis souvenu de mon voisin qui faisait hurler le petit moteur de ce cyclo autour des bâtiments de la cité Py, à Montolivet.

J’ai pensé que c’était le deux-roues des minets qui mettaient le petit pull qui dégageait le nombril avec le pantalon à tergal au pli coupant comme une lame.

Je crois que c’était aussi le modèle de Piaggo le moins cher.

Je sais qu’il y avait une véritable typologie du cyclo.

Le Ciao (prononcez à l’italienne Tchiao), c’était réservé aux urbains, plutôt enfant de classe moyennes, les enfants d’ouvriers avaient le Malaguti à guidon cintré. A la campagne, mes cousins avaient plutôt des 103 Peugeot avec le réservoir sur la fourche pour aller à la piscine.

Je sais que le Ciao faisait un peu un bruit de moulin à café. Que les pédales tournaient quand il roulait.

Marseille était une ville phare pour le Ciao.

J’en pensé aux années 1970, à cette période légère, au lycée Saint-Charles avec tous les cyclos dans la cour. Je me suis souvenu que c’était dur de chaler (transporter derrière soi) une fille sur le porte-bagage d’un Ciao.

De tout façon, à l’époque, le lycée Saint-Charles n’était pas mixte, j’étais désespérément timide et je n’avais pas de cyclo.

J’ai pensé que le scooter avait détrôné le cyclo.

J’ai vu tout cela en regardant ce deux-roues sans phare.

 

Bref, j’ai vu un Ciao devant la Timone et j’ai souri.

Et puis j’ai écrit tout cela et Tonin m’a parlé de sa Bleue et ses mains gelées en Auvergne

Patricia de son Ciao et de l’immense fille blonde et belle qui roulait en Solex.

Richard a évoqué son rêve de Rumi.

Florence a avoué qu’elle ne voulait se faire chaler qu’en Dax.

Un ami s’est souvenu du Honda Amigo.

Catherine a repensé au bidon de Solexine.

Une autre m’a dit qu’elle roulait en Chappy.

 

Bref, nous sommes tous des enfants de cyclos.

Grandir, vous dis-je

décembre 24, 2011


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Je sors d’une longue discussion avec une amie sur les liens que l’on entretient ou pas avec sa famille et au final sur la manière dont on se débrouille soi-même, avec ses pesanteurs, ses doutes. Avec cette question simple : quand grandit-on ?

Plus simplement, nous nous demandions si les doutes que l’on garde en soi sur ses capacités, sur son origine sociale, sur la distance que l’on arrive à mettre avec les siens quand ils sont trop accaparants, peuvent être dépassés.

Certains vont parler du « syndrome de l’usurpateur », de cette tendance que l’on a parfois à se demander si on mérite bien sa place, son statut. Il y a sans doute de cela mais c’est plus complexe parce que ces interrogations partent aussi de l’origine sociale, du rapport avec sa famille. Progresser dans la société, c’est forcément en partie trahir, se couper de la réalité que vivent ou qu’ont vécu ses parents, ses frères, ses soeurs. J’avais écouté un jour une émission de radio géniale où un écrivain parlait de la « honte sociale », du quasi-mépris qu’il ressentait pour l’accent des gens de la région dont il était originaire quand il y revenait. Et un autre se souvenait de sa mère qui l’avait élevé seule et qui s’était cassé le dos dans des boulots d’ouvrière pour qu’il puisse aller à la fac. Et il disait : « Ma mère s’est tué au travail pour que je puisse aller à l’université et écrire pour dire du mal d’elle ».

Donc on s’échappe parfois violemment, contre les siens, parce qu’ils nous étouffent, parce qu’on ne veut plus de leur monde, de ce qu’ils font peser sur vous, volontairement ou inconsciemment.

Mais il reste, même si on est loin d’eux, même si les rapports se sont distendus, une part de doute en nous comme une part d’eux. Quelque chose d’insidieux qui fait se remettre en question sur ses capacités, sa position. Une vague crainte qu’un jour, quelqu’un découvre que vous avez forcé la porte, que vous avez gagné la partie sans jeu.

C’est une fragilité, une fêlure mais cela peut aussi se transformer en atout. Comme un moteur qui ne se met jamais au ralenti, qui vous force à passer toujours une vitesse supérieure. Pour ne jamais être rattrapé. Pour s’épater soi-même.

Je crois qu’on ne peut pas se construire sur le mépris des siens. Je pense cependant que, écoutant mon amie dire qu’elle n’en pouvait plus de ses parents, d’être encore mineure à leurs yeux, qu’il faut s’éloigner, construire son monde, vaille que vaille. Tanguer seul mais lever l’ancre.

Ce sont sans doute des pensées de Noël, liées à cette période où le cercle familial est censé se reformer, où les repas se succèdent comme autant d’épreuves pour certains, de retrouvailles attendues pour d’autres. Mais au fond de tout cela, de cette soupe sentimentale, de cette lucidité intellectuelle, il y a tout de même le désir profond d’avoir sur soi un regard bienveillant. Un besoin d’être reconnu, accepté, aimé plus qu’une farouche volonté de réussite. Comme si quelqu’un vous disait simplement : « C’est bien que tu sois là, continue ».


 

Caché derrière le caddy d’une grosse dame dans la rame du tramway, Bébé avait déjà enlevé son petit pull vert. Il en avait assez de ce tricot qui le grattait. Il avait envie de changer de look, de vie. Il adorait Zoé, il savait qu’il allait lui manquer mais le grand air, l’aventure lui manquait. Le doudou partait en cavale.

Il descendit du tram à l’arrêt National et marcha sur le boulevard vers la gare Saint-Charles. Il avait déjà tout prévu. Il ne prendrait pas le train car il savait que la maman de Zoé avait déjà lancé les recherches et que les contrôleurs le repéreraient facilement. Alors il avait pris la carte « Avis Club » qui était tombée dans la chambre de Zoé qu’il avait mis de côté avec la carte bleue qu’il avait ramassé sur la tablette de l’entrée. Il se dirigea vers le comptoir des voitures de location qu’il avait déjà repérée quand Zoé et sa maman étaient venues chercher une amie à la gare.

L’employée fatiguée releva à peine la tête lorsque, juché sur un tabouret, il demanda une décapotable et un siège bébé pour atteindre le volant. « Une Mercédès Classe S, ça vous va ? » Pardi que cela lui allait. Dans le parking, il la trouva vite, elle était rouge flamboyante. Comme il allait pécho ! Même s’il faisait un peu frais, il descendit le toit amovible et fit crisser les pneus sur le béton en démarrant.

Le tunnel et en deux minutes, il était sur l’autoroute, direction Nice. Il avait l’intention de prendre l’avion là-bas pour brouiller les pistes. Il s’arrêterait juste à Toulon chez un pote ours de cirque qui avait plongé dans le Milieu pour se faire faire un faux passeport et récupérer un peu d’argent qu’il lui avait prêté à sa sortie de prison. Après sa halte chez son pote dans le quartier de Chicago, il passa dans une friperie pour s’acheter une chemise hawaïenne et une grosse chaîne dorée avec une fausse dent de requin. Bébé, ça allait bien. Désormais, il s’appellerait « Dédé le Doudou ». Bon ça faisait un peu fatchomaco mais ça en jetait.

Bon, cet ourson de compagnie avait un peu des goûts bling-bling mais il voulait vivre quoi, se la péter. Au péage de la Barque, il prit une adolescente auto stoppeuse prénommée Zahia qui lui demanda de lui raconter une histoire et qui adora le récit de l’ours qui pète. Ils se quittèrent bons mais. A l’aéroport Nice-Côte d’Azur, il repéra un vol pour Tahiti avec escale à Los Angeles. Le rêve, dans le lit de Zoé, il rêvait de lagons, de poissons-clowns, de sable blanc et de vahinés énamourés.

Il mit ses lunettes noires et se présenta au comptoir. Chance, il restait une place et l’avion décollait dans un quart d’heure.

Le temps de présenter son faux passeport à un policier amusé et il était installé dans un fauteuil profond comme la mer avec une épatante hôtesse qui lui offrait du champagne. Elle était pas belle la vie. Il s’assoupit un peu, fatigué par sa fuite et rêva de son bungalow au bord de l’océan. Dans son songe, Zoé était à côté de lui, en maillot et paréo. Il se réveilla un peu coupable et chercha parmi les films disponible de quoi faire passer les 12 heures de vol. Il se fit consécutivement « Transformers 3 », une comédie romantique devant laquelle il pleura et une aventure de Dora l’Exploratrice qu’il avait déjà vu avec Zoé. Encore une fois, le souvenir de la petite fille l’envahit.

Après l’escale à L.A. , les contrôles plutôt courtois des flics américains (« Ah, you come from Marseille, beautiful town, soccer, beach, bouillabaisse… »), l’avion redécolla vers la Polynésie.

Il se réveilla alors que l’Airbus descendait sur Papeete. L’eau de l’océan Atlantique était aussi bleu que la baignoire quand il prenait le bain avec Zoé et que sa maman ajoutait des sels de bain de la Mer Morte. Il se mit à chanter « Stand on the Word » à tue-tête.

La chaleur moite le saisit quand il sortit de l’aérogare, face au parking ombragé de cocotiers. Comme son pécule avait fondu, il s’éloigna sur la voie rapide et fit du stop. Une vieille 2CV s’arrêta près de lui. Sur le siège arrière, il vit une petite fille aux longs cheveux bruns qui lui souriait. Sa maman ouvrit la porte pour qu’il s’installe à côté d’elle. « Bonjour, moi c’est Christelle et ma fille, c’est Eoz. Et toi ? »

« Moi, c’était Dédé le doudou », dit-il en tripotant sa fausse dent de requin.

« Qu’est-ce-que tu fais ici ? »

« C’est une longue histoire.

« Bon, tu auras le temps de nous la raconter, on va passer la journée sur la plage. »

Bébé-Dédé sourit. Ils arrivèrent sur une longue grève sablonneuse. Eoz lui prêta son masque et il plongea comme il le faisait à Marseille dans la baignoire. Waow, c’était comme dans ses rêves. Les poissons-clowns, les poissons-lunes, les grenadiers, les poissons-épées, les hippocampes, les gobis de toutes les couleurs tournaient autour de lui, il descendit vers le fond et soudain, il se sentit soulevé. C’était une raie pastenague joueuse qui l’emportait sur son dos.

« Yaou », cria-t-il pendant que Caillera la raie le faisait surfer sur les vagues. Puis elle le déposa près du rivage où Eoz jouait dans les vagues. Il était un peu ivre de grands espaces, de tout ce bleu.

La petite fille le prit dans ses bras et s’allongea avec lui près de sa maman sur une grande serviette avec des requins un peu effrayants dessus. « Monsieur Dédé, je vais te raconter une histoire, l’histoire d’une autre petite fille, mon double, qui vivait de l’autre côté de la terre, dans une ville appelée Marseille et qui avait perdu son doudou. »

De grosses larmes se mirent à couler des yeux de l’ourson. Il se blottit dans les bras d’Eoz. Il allait entamer une nouvelle vie, nager, rire, pêcher, faire du surf. Peut-être rencontre une doudou-vahiné craquante. Mais jamais il n’oublierait Zoé qui allait grandir et avoir une belle vie, pleine d’histoires et d’amour de sa maman. Lui, il lui enverrait des cartes postales pleines de cocotiers, de dauphins et de danseuses avec des maillots en raphia pour lui raconter ses aventures sous les alizés.

Baisers Mademoiselle Zoé. Dédé le doudou pense très fort à vous.

La dame du Mont Salva

août 20, 2011


Sous ses pieds roulent les galets


Elle danse sur la plage des figures nouvelles

Elle est comme l’héroïne d’une chanson de Cabrel

Sous ses pieds déliés roulent toujours les galets

Elle est comme sur un fil, en équilibre parfait

Je la vois se dessiner parfaite silhouette

Quand le soleil passe de l’autre côte de la planète

REFRAIN

C’est la dame du Mont Salva

Vers qui toujours mon coeur va

C’est la princesse de la calanque

cachée derrière les pins qui penchent

Elle laisse partir tous les paquebots

Ses voyages à elle sont bien plus beau

Elle parcourt le monde immobile

Une acrobate sur un fil

Elle est mon ciel mon horizon

Les tuiles bleues de ma maison

REFRAIN

Je la rejoins sur les crêtes d’écume

Nous dansons à chaque première lune

Quand l’ombre tombe sur les falaises

Notre amour se fait à son aise

Elle embrasse mes paupières lourdes

Je bois à sa bouche comme à une gourde

REFRAIN

Bientôt il faudra remonter le chemin

Grimper sur les rochers, s’érafler les mains

Bientôt je retournerai dans le village

Je la laisserai tourner, tourner sur la plage

Elle dansera jusqu’à ce que l’aube naisse

Comme un aveu muet, une belle promesse

REFRAIN

Je suis amoureux

juillet 21, 2011


Je suis amoureux de son équilibre sur un fil

Qui n’est pas amoureux n’est pas un homme, me dit un proverbe arabe affiché au hasard. Alors oui je suis amoureux. Amoureux d’elle, de sa peau, de ses mots, de son présent, de son futur, de ses colères et de ses déclarations, de ses doigts quand elle joue, de son équilibre sur un fil, de tous ses atomes si parfaitement assemblées, de ses brèves explosions nucléaires, de ses réveils magnifiques et de tout le spectacle derrière ses paupières quand elle dort. Comme un cirque magique qui m’est inaccessible.

Oui je suis amoureux d’elle et cela pourrait suffire à être vivant. Mais je suis par ailleurs, oserais-je le confesser, amoureux de la tourterelle à plume accroche-coeur fort peu timide qui se pose sur mon balcon où elle sait trouver quelques graines. Et à toutes ses compagnes qui volent près de moi.

Je suis amoureux de la lune pleine quand elle se lève au-dessus de l’horizon des Chartreux, dans sa belle rousseur.

Je suis amoureux d’un bon mot qui déclenche l’éclat de mon rire comme :

« – Monsieur, veuillez passer à la caisse chercher vos émoluments.

– Oh ne dérangez pas le pluriel pour si peu.

Je suis amoureux du moment précieux, juste avant l’aube, où la nuit s’éteint.

Je suis amoureux de la petite fille qui marche avec son père sur la plage des Saintes, Léa.

Je suis amoureux de tous les articles bien écrits, comme celui lu ce samedi au « Longchamp Palace » sur le destin brisé des cyclistes espagnols, les comparant à des Don Quichotte.

Je suis amoureux des battements d’aile du destin.

Je suis amoureux des éternelles mises en garde de ma mère.

Je suis amoureux des déchirements amoureux de mes amies.

Je suis amoureux des beaux caractères, avec une prédilection pour le Garamond, légèrement chassé.

Je suis amoureux de la plage sans fin à Santa Luzia do Itanhi et de mon premier lagon polynésien.

Je suis amoureux du papier qui tourne sur les rotatives.

Je suis amoureux des draps de percale.

Je suis amoureux des vieilles enseignes.

Je suis amoureux de la route au-dessus de Speloncato et des combes entre Villes-sur-Auzon et Sault.

Je suis amoureux de la rue de Lyon à Paris, quand on débarque de la gare du même nom et que l’on marche vers la Bastille.

Je suis amoureux des expressions comme « la petite reine » ou « à l’heure où nous mettons sous presse ».

Je suis amoureux de l’eau de repassage.

Je suis amoureux des chambres d’hôtel, des plus luxueuses aux plus scandaleusement simples.

Je suis amoureux de tous les jeux d’amour.

Je suis amoureux des prières qui commencent par : « Je vous salue ».

Je suis amoureux du calme du Trastevere à Rome.

Je suis amoureux de cette fourmi qui a eu le courage de grimper jusqu’à la table de ma cuisine.

Je suis amoureux de tout ce qui va m’arriver et de tout le temps qui reste.

L’aubsente

juin 20, 2011


C'est un matin sans elle alors je redessine ma belle


C’est un matin sans elle

Et forcément mes ailes

Sont enrayées et mes paupières

Sont lourdes comme des pierres.

C’est un matin sans elle,

Une aube comme dans Cabrel

Où légèrement je m’ennuie

Sans la gardienne de mes nuits.

C’est un matin sans elle,

De vieux chien sans sa gamelle

Alors j’enfile les Senseo

Hardi mon gars et hisse et oh.

C’est un matin sans elle,

De portugais sans sa truelle.

Alors je regarde ses photos,

Son cul de princesse des plateaux

C’est un matin sans elle,

Je ne réponds pas à l’appel.

Je boude au fond de la classe.

A quoi ça sert qu’j’me décarcasse ?

C’est un matin sans elle,

un balcon sans tourterelle.

C’est Piacenza sans le Pô

Et ma main sans sa peau.

Alors je suis jaloux du lit

Qui l’accueille dans ses plis.

Et je m’en vais errer sans but

Un enfant seul chez les adultes.

C’est un matin sans elle

Une fracture sans attelle,

Une glissade sur la mauvaise pente,

Un soleil sans claire-voie, une aubsente.

C’est un matin sans elle

Alors je redessine ma belle

Sur l’oreiller de mes envies

C’est indécent comme la vie.

Et on reprend !

Une nuit de printemps

avril 12, 2011


On se dit qu'après tout on n'est qu'à la mi-temps

C’est une nuit de printemps et on n’est pas sérieux même si l’on va avoir cinquante ans.

C’est une nuit de printemps et lorsqu’en roulant comme Nanni Moretti dans « Journal intime » en scooter, on sent comme un bruissement, on se dit qu’il est toujours temps.

C’est une nuit de printemps et l’on boit une bière blanche à une terrasse seul en regardant les passants.

C’est une nuit de printemps et l’on se dit que cela mériterait un karaoké sur une plage dans le vent.

C’est une nuit de printemps et l’on sent autour de soi comme un bruissement.

C’est une nuit de printemps et, en tendant l’oreille, on entend forcément un chat-huant.

C’est une nuit de printemps et l’on se sent vieux et l’on se sent enfant.

C’est une nuit de printemps et l’on a le pas traînant et le coeur tremblant.

C’est une nuit de printemps et l’on se dit qu’après tout, on n’est qu’à la mi-temps.

C’est une nuit de printemps et l’on a envie de faire claquer des portes à deux battants.

C’est une nuit de printemps et putain que c’est beau et putain que c’est grand.

C’est une nuit de printemps et l’on a envie de rouler dans les champs.

C’est une nuit de printemps et l’on pense à elle, aux tout premiers temps et au beau présent.

C’est une nuit de printemps et l’on se dit que l’été sera triomphant.